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La rue Réaumur : un symbole de transition entre le style "Haussmannien" et les mouvements modernes

Updated: Jun 4, 2023

Photos : E.G © 2021


Le paysage architectural de la capitale se façonne depuis six siècles, du vieux Paris jusqu'au Grand Paris à horizon 2030. Mais dès que l'on évoque l'architecture parisienne, le style "Hausmannien" est le premier à venir à l'esprit.

Cette transformation de Paris, menée sous le second empire en à peine 20 années, représenta un bouleversement complet du paysage urbain et de la mixité sociale, avec la construction d'un vaste réseau de grands axes.

Le Baron Haussmann, avec la loi du 26 mars 1852 et le décret du 21 septembre 1855, impose aux constructions sur ces nouvelles artères de respecter des lignes de compositions unitaires.


Les principales servitudes haussmanniennes


Le rez-de-chaussée et l'entresol doivent avoir des murs en soubassement par des refends, "bossage".

  • Le 2ème étage, dit étage "noble" doit avoir un ou deux balcons.

  • Les 3ème et 4ème étages doivent être de même style que le 2ème étage mais sans balcon.

  • Le 5ème étage doit posséder un balcon filant pour conserver une harmonie avec le 2ème étage, mais sans décoration.

  • Des combles à 45 degrés moins riches.


Cette règlementation est donc à l'origine de la modélisation de ces façades si caractéristique du Paris haussmannien. Les immeubles d'un ilot ont la même hauteur ce qui renforce l'impression d'ensemble architectural. Chacun d'eux respectent les mêmes lignes horizontales de façade, avec peu de décoration, peu de retrait et peu de saillie.


1882-1902 les années de la rupture


Mais à la chute de l'Empire et surtout à partir des années 1880, les servitudes imposées dans les cahiers des charges de l'ère haussmannienne vont progressivement être allégées et amendées.

Il faut dire que cette uniformité imposée commence à lasser. Les règlements "haussmanniens" ont paralysés les architectes en bridant leur créativité.

A partir de 1882 et pendant vingt ans, la construction dans la capitale va connaître une phase de grande productivité et de créativité. L'arrivée des nouveaux matériaux - fer et béton - va progressivement faire naitre une architecture nouvelle. Celle de l'ascenseur en 1885 va définitivement requalifier les parties hautes des immeubles en parties nobles et servir d'émulation créatrice pour ces étages autrefois délaissés.


La rue Réaumur la fin du style "haussmannien" pur


Entre 1895 et 1897, un nouveau prolongement de la rue Réaumur est percé sur plus de 600 mètres entre le Palais Brongniart (la bourse) et les Arts et métiers.


La rue est inaugurée par le président Félix Faure en 1897, elle a une vocation commerciale voir industrielle pour une grande majorité des immeubles élevés.




Profitant des modifications et assouplissements successifs de la stricte réglementation haussmannienne, elle va devenir un lieu d'expérimentation architecturale sur toute sa longueur.


La création du Concours de façades de la ville de Paris en 1898 à l'issue du percement de cette nouvelle artère encouragera les architectes dans l'érection de bâtiments originaux.


La rue Réaumur peut être considérée comme le véritable marqueur de la fin du style "haussmannien" pur, le symbole d'un nouveau paysage architectural, une période de transition avant l'arrivée des mouvements modernes.

61-63 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

Je vous propose de découvrir les principales réalisations qui longent la rue Réaumur entre les métros Bourse et Réaumur-Sébastopol, par ordre chronologique de construction.


 

Au 101 - Architect Albert Walwein - 1895

Immeuble commercial


Cet immeuble commercial est situé à l'angle de la rue Cléry. Il est doté d'une puissante élévation avec une rotonde d'angle à deux niveaux. Une ornementation éclectique autour des ouvertures, des cariatides engainées de style néo-renaissance encadre une baie au deuxième étage et porte un fronton. Les sculptures sont de Jacques Perrin.

101 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

Le corps principal est dominé par les baies vitrées encadrées par des pilastres à chapiteaux corinthiens.


Le fronton ouvragé, guirlandes et cariatides engainées.


 

Au 82-92 - Architecte F. Constant-Bernard - 1897

Immeuble commercial


Un des premiers bâtiments commerciaux de la rue. Il a accueilli en son temps, le magasin "A Réaumur", première enseigne à proposer la vente de prêt-à-porter par correspondance avec des livraisons en hippomobile. Principale attraction de cet édifice, l'horloge monumentale en mosaïque polychrome, d'esprit Art nouveau, au nom de l'enseigne.

82-92 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

La façade est composée d'un ordre colossal avec des pilastres sur deux niveaux qui encadrent les baies vitrées sur structure métallique.


 

Au 91 - Architecte Charles de Montarnal - 1897

Immeuble commercial


Immeuble d'activités sur structure métallique et habillage en pierre. Sobriété totale de la façade composée de cinq travées avec une forte dominante de baies vitrées sur un châssis métallique fin.

91 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

 


Au 93 - Architectes Léon Bonnenfant & Denis Destors - 1898

Immeuble commercial


Immeuble à pan coupé et structure métallique avec habillage en pierre. Comme pour beaucoup de bâtiments de la rue, on retrouve une forte dominante de baies vitrées. Elles possèdent chacune en leur centre une colonnette avec chapiteaux corinthiens et sont séparées par des pilastres.

93 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

Le reste de l'ornementation est discret; consoles à volutes et têtes de lion pour les balcons, balustrade filante de l'attique.



 

Au 108-110 - Architecte Edouard Wattier - 1898-1899

Immeubles commerciaux


Immeubles jumeaux bâtis sur deux parcelles. Ils disposent de deux massives tourelles d'angles qui accentuent la verticalité de l'ensemble. Une composition de grandes travées vitrées sur les premiers étages avec un traitement assez conventionnel sur les étages supérieurs.

108-110 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

 

Au 116 - Architecte Albert Walwein - 1897-1898

Immeuble commercial


Bâtiment en pierre de taille à usage commercial. L'ornementation se concentre essentiellement au dessus du porche d'entrée.

Le balcon supérieur est soutenu par deux monumentales sculptures d'atlantes qui reposent sur des corbeaux en forme de tête de lion.

Le fronton triangulaire de la porte est composé d'un médaillon représentant Vénus et deux amours.

116 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

 

Au 130 - Architecte Charles de Montarnal - 1898

Immeuble commercial


Immeuble d'angle à rotonde, structure métallique et habillage de pierre. Une fois n'est pas coutume, forte domination des baies vitrées séparées par des pilastres à chapiteaux composites. Les lucarnes avec leur fronton triangulaire cassent la ligne du toit. A la différence du n°118, le vocabulaire architectural reste très académique et classique.

130 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

Fronton du portail d'entrée métallique.

Fer et verre pour les commerces , ateliers ou bureaux souvent sur 3 ou 4 étages.

Les étages supérieurs, réservés aux logements, demeurent quant à eux habillés majoritairement de pierre de taille.


 

Au 105 - Architecte Charles Ruzé - 1899

Immeuble commercial


Réalisation mineure de Charles Ruzé en comparaison de celle produite un an plus tard au 121.


 

Au 126 - Architecte Albert Le Voisvenel - 1899

Immeuble commercial


Immeuble à pan coupé avec une façade avec des travées à structure métallique, habillée d'un bossage de pierre. Les travées de la partie centrale forment une grande baie vitrée et l'ouvrage de la ferronnerie est travaillé différemment à chaque étage, comme cette arcature abaissée.

126 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

 

Au 61-63 : Architectes Pierre Jouannin et G. Sirgery - 1900

Immeuble d'activités


Un des plus surprenants édifices de la rue. Cette construction monumentale est un mélange d'Art nouveau et d'Art néogothique, conjugaison de styles très éclectiques en pleine révolution industrielle. L'illusion d'un édifice religieux est accentuée par sa partie centrale. Une entrée similaire à celles des églises, surmontée de fenêtres géminées, d'ogives et d'une rosace en mosaïque qui accueille une horloge.


On remarque également une très forte inspiration du vocabulaire architectural des adeptes de Violet-le-Duc.

61-63 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

Les sculptures sont réalisées par l'entreprise familiale Jacquier. Les motifs floraux qui ornent les corniches et colonnes viennent compléter le thème principal des sculptures de la façade: le temps. En effet, la rosace abrite autour de l'horloge, les signes du zodiaques et les mois de l'année.

Après la rosace, nous retrouvons sous les fenêtres géminées une nouvelle représentation animalière sculptée de ces signes. L'ensemble est encadré de quatre médaillons représentant les saisons.



La partie centrale raisonne comme une église enveloppée dans une facade plus moderne.

Ici il faut noter l'étroitesse du bâtiment d'une profondeur de seulement cinq mètres.

61-63 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

 

Au 97-99 : Architectes Charles Duvillard & Philippe Jolivald - 1900

Immeuble de rapport


Mélange de pierre de taille et d'une large surface vitrée avec une structure en métal ouvragé.

C'est un bâtiment très représentatif de la fin de la rigueur haussmannienne, mais par contre l'usage des techniques nouvelles n'a pas pour autant engendré une forme nouvelle. La culture de la bourgeoisie de début de siècle reste encore prégnante.


A noter que cet édifice a la particularité de servir d'entrée à la station de métro Sentier.

97-99 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

 

Au 118 - Architecte Charles de Montarnal - 1900

Immeuble commercial


Voici la plus célèbre des réalisations de Charles de Montarnal, auteur des nombreux bâtiments commerciaux sur Paris.

Elle doit sa célébrité à l'immense baie vitrée qui occupe une grande partie de la façade et plus particulièrement à l'impressionnant arc sur sa partie supérieure. A la différence de l'immeuble du 97-99, l'architecte a ici exploité avec brio les possibilités offertes par la construction métallique, tant dans sa structure que dans son ornementation.

118 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

Un cadre en pierre de taille, une grande verrière en métal sur trois niveaux et sur toute la largeur du bâti. La structure et l'ornementation, composées de chapiteaux et balustrades, illustrent une belle adaptation à l'esthétisme Art nouveau.

Les enroulements végétaux des parties en pierre qui encadrent la verrière sont en parfait accord avec ceux qui animent la fonte de la structure métallique.



 

Au 119 - Architecte Germain Bousson - 1900

Immeuble commercial


Cet édifice construit sur une ossature métallique est caractéristique de la période post-haussmannienne. La destination commerciale est clairement démontrée avec l'importance des ouvertures vitrées. Mais cette ossature est lourdement masquée par la pierre de taille tout en s'inscrivant aisément dans le linéaire de la rue Réaumur.

119 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

Détails de la partie haute de l'immeuble, dôme un peu kitsch, et l'enveloppe de pierre de taille donne l'effet d'une gangue en dissimulant trop la structure métallique.


 

Au 121 - Architecte Charles Ruzé - 1900

Immeuble de rapport


Après le 118 et 124, peut être une des plus belles réalisations de la rue Réaumur avec sa rotonde d'angle tréflée et dotée de bow-windows à fine armature métallique.

121 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

Au-delà de la rotonde, les façades semblent comme échancrées par les baies métalliques bombées de l'intérieur avec leur vitrage courbe.


 

Au 124 - Attribué à l'architecte Georges Chedanne - 1905

Immeuble industriel


C'est sur la foi du dépôt des plans d'un permis de construire que ce bâtiment est attribué à l'architecte Georges Chedanne, plans qui ne correspondent en rien à la réalisation finale. Le mystère reste entier car cet édifice est aux antipodes de l'ensemble de l'oeuvre de Georges Chedanne.

Néanmoins, nous voici face au véritable joyau de cette artère, il marque à lui seul la véritable rupture avec le passé haussmannien.

A la différence des immeubles voisins, l'architecte s'affranchit ici de l'usage de la pierre, avec une façade presque entièrement métallique et dénuée de tout ornement. Il fait preuve d'une radicalité nouvelle.

L'acier est utilisé comme véritable moyen d'expression formelle et l'accord entre façade et structure portante est parfait.

124 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

La structure est en poutres métalliques rivetées en forme de I, seul vecteur expressif d'une esthétique architecturale. Chaque niveau d'élévation est séparé d'une poutrelle massive, et seul le dernier étage et les combles, placés en retrait n'ont pas de structure métallique.

Les poutrelles verticales sont nettement plus fines, elles délimitent les travées et sont rejointes au rez-de-chaussée par les consoles des bow-windows.


Cette rupture est totale avec le trio de bow-windows métallique accroché à la façade.


L'ornementation de la façade ... c'est la structure elle-même.

Les références formelles à l'Art nouveau viennent nuancer la rigueur géométrique des alignements verticaux et horizontaux. Et plus particulièrement au rez-de-chaussée, les courbes des portes d'accès cassent la linéarité de l'ensemble.


Les références Art nouveau se retrouvent sur les consoles porteuses des bow-windows, plus particulièrement au niveau du rez-de-chaussée et de la porte d'entrée.


 

Au 51 - Architecte Charles Le Maresquier - 1910

Immeuble commercial


Ce bâtiment emblématique, siège du groupe Félix Potin est construit six années après celui de la rue de Rennes. Il est souvent surnommé "la Poivrière" en référence au large dôme qui le surplombe.

Le Maresquier semble stimulé par la demande outrancière de la Maison Félix Potin et il ne se pose pas la question d'économie de moyen pour bâtir cet édifice.


Voici donc une architecture néo-baroque éclectique, très loin des standards haussmanniens. Surprenant par la richesse et lourdeur de ses décors, cet édifice s'apparente à un bibelot ornemental.

Il parait relever d'un caprice du commanditaire alors en pleine réussite entrepreneuriale.

51 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com

Et comment magnifier le triomphe du commerce ? En usant et abusant de détails ornementaux.


 

Au 132-134 - Architecte Jacques Hermant - 1910

Immeuble de rapport


Cet immeuble de rapport est assez caractéristique de la période transitoire que représente la rue Réaumur. L'architecte réalise ici un bâtiment sans radicalité. Des formes anciennes, de style historiciste, rivalisent avec une belle densité de surfaces vitrées, ceci grâce à l'usage des avancées techniques du début de siècle. Son emplacement en angle de rue accentue l'urbanité de cette réalisation.

132-134 rue Réaumur | Architecture | eg-xiste.com


Paris a connu sous le Second Empire avec le Baron Haussmann une véritable révolution architecturale qui a profondément marqué son histoire urbaine. Ce cataclysme architectural sera une catalyse pour les courants architecturaux postérieurs. Il y aura ceux qui s'y réfèrent, ceux qui l'adaptent et ceux qui s'y opposent et le rejètent.


Au début des années 1880, les règlements d'urbanisme vont progressivement s'assouplir pour stopper le mécontentement des architectes, qui se sentent depuis trop longtemps bridés dans l'exercice de leur métier.

Et c'est véritablement avec le règlement d'urbanisme de 1902, que le paysage urbain parisien se transforme. L'élévation des immeubles, en théorie sans limite vient bouleverser la rue classique uniforme et linéaire.


Et en ce début de XXème siècle, les architectes de la rue Réaumur nous offrent un remarquable catalogue de styles architecturaux, laissant enfin libre cours à la créativité et fantaisie (sculptures monumentales, dômes, coupoles, loggias et bow-windows), avec l'usage des nouveaux matériaux (fer et béton).


Comme vous avez pu le remarquer, cette rue Réaumur est l'un des premiers tracés à offrir un nouveau paysage architectural, une renaissance de l'autonomie et de l'individualisation des façades.


La transition post-haussmannienne est en route.


Les mouvements modernes sont encore dans la posture, l'Art nouveau se fait de plus en plus présent mais la période sera éphémère avant l'émergence des rationalistes, des fonctionnalistes et de l'Art Déco.



 

Un plan non exhaustif pour ceux qui souhaitent retrouver les bâtiments évoqués.

Suivez Réaumur du métro Bourse à Réaumur-Sébastopol ou le contraire.




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