Le Samedi 18 octobre 2022, la piscine Alice Milliat de Pantin, anciennement "Leclerc" était officiellement inaugurée par le maire de la ville et le président de l'agglomération Est ensemble. Après deux années de restauration et une réhabilitation dans les règles de l'art, elle retrouve son lustre et élégance d'antan.
Je vous invite à parcourir l'histoire de cette piscine et découvrir, ensemble et par l'image, le renouveau de ce joyaux d'architecture municipale des années 30.
L'histoire
Malgré les Jeux Olympiques de 1924 de Paris, le retard pris par la France en matière d'équipements sportifs reste encore à combler notamment en comparaison avec la Grande-Bretagne et l'Allemagne.
Les nombreux maires étiquetés SFIO récemment élus dans de nombreuses communes de la banlieue parisienne montrent une réelle volonté de créer des services collectifs communaux intégrés dans la cité et proches de ses habitants. Ce mouvement progressiste de politique urbaine va déclencher un développement de bâtiments publics sportifs dans les communes de la petite ceinture parisienne.
La piscine de Pantin est l'une des réalisations les plus remarquables de ces programmes urbains naissant dans l'entre-deux-guerres.
Une architecture moderne des années trente
Le maire de Pantin Charles Auray confie la construction de la piscine à son fils Charles, élève de Georges-Henri Pingusson et à l'ingénieur Jean Molinié (Compagnie Générale des Eaux).
Les travaux débutent en 1936 et s'achèvent un an plus tard.
Le projet est sportif et industriel. En effet la piscine va être alimentée en eau par l'usine de pompage de la C.G.E construite à quelques mètres de celle-ci. Elle bénéficiera donc d'eaux plus chaudes et moins calcaires directement issues des puits artésiens.
L'architecture de ce double programme est très fortement inspirée de celle des Pays-Bas et plus particulièrement de Willem Marinus Dudok (Hôtel de ville d'Hilversum et le magasin Bijenkorf de Rotterdam). Elle s'inscrit pleinement dans la modernité architecturale des années trente
On y retrouve les mêmes références, un bâtiment massif tel un bunker adouci par un jeu de volumes horizontaux et verticaux fait d'avancées et de retraits de travées.
La structure en béton armé se voit revêtue d'un remplissage de briques rouges des Comptoirs tuiliers du Nord , matériau très couramment utilisé à cette époque en banlieue parisienne.
Les façades n'ont aucun rôle porteur.
Les longues baies horizontales en ruban traversent toutes la longueur de l'édifice et leurs présences démontrent que les descentes de charge ne sont pas en façade mais à l'intérieur du bâtiment.
La présence d'oculi (hublots) sur les travées externes de l'entrée principale constituent les seuls éléments décoratifs extérieurs venant rompre avec le dépouillement de l'ensemble. Baies et oculi sont presque tous encadrées d'une bande de grès émaillé noir.
L'intérieur de la piscine s'articule autour d'un grand axe longitudinal, éclairé par un toit verrière qui apporte une lumière zénithale. A ses extrémités, d'un côté une entrée principale équipée d'une loge semi-cylindrique et de l'autre un plongeoir.
La bassin de nage est entouré de déshabilloirs communs. Quatre escaliers disposés à chaque angle du bassin permet d'accéder aux coursives des deux étages qui desservent plus de deux cent trente cabines individuelles. Les coursives servaient de tribunes lors des manifestations sportives organisées sur le site.
La décoration intérieure est réalisée avec soin, avec des matériaux de revêtement intérieur moderne et un grand usage de céramiques polychromes. Le principe de l'atrium est retenu.
Dès son inauguration en 1937, la piscine connait un très grand succès populaire. Succès largement provoqué par les nombreuses campagnes publicitaires de la municipalité et la nomination du champion français de natation Jean Taris comme directeur de l'établissement.
Un délabrement progressif
Depuis sa mise en service, la piscine ne connait aucune modification ou restauration majeure et se délabre au fil des ans. Malgré son inscription à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques (ISMH) en 1997, l'ensemble de l'édifice sans exception subit les affres du temps et connait des altérations de plus en plus nombreuses.
2016, les façades extérieures dans un état de délabrement avancé. L'eau de pluie s'était infiltrée progressivement dans le bâtiment en passant derrière les briques et dégradant ainsi le squelette en béton armé. Les briques ayant pris l'eau cassent sous l'effet du gel. Des filets sont installés sur la façade principale pour éviter leurs chutes.
Les aménagement intérieurs ne sont pas en reste. L'humidité, le gel, l'usure du temps ont fait leurs œuvres, les peintures sont écaillées, les murs sont poreux, la toiture est fragilisée.
La renaissance
Treize années plus tard débute le grand projet de réhabilitation. Après deux années de restauration et de mise aux normes, la piscine qui a retrouvé son lustre d'antan est rendue le 2 juillet 2022 aux pantinois.
Elle porte désormais le nom de "Piscine Alice Milliat". choisi après consultation et concertation avec les pantinois. Un hommage unanime à l'une des grandes militantes du sport féminin international.
Les façades extérieures
Le large et sobre perron de l'entrée principale avec son escalier, ses rampes et sa marquise de béton. Il est divisé par un volume convexe partiellement vitré en forme de fer à cheval. A l'intérieur, cet espace forme une loggia qui accueille des bancs fixes carrelés.
Vue de l'ensemble des façades totalement restaurées. Les briques de parement ont retrouvé leurs couleurs rouge orangée, ainsi que les éléments de grès noirs qui viennent souligner l'ensemble des baies vitrées.
Les oculi avec leurs châssis pivotant évoquent naturellement les hublots de paquebots et la fonction aquatique du lieu.
Les joints verticaux sont quasiment invisibles tandis que les horizontaux sont fortement prononcés et épousent la ligne de fuite de l'édifice.
Les escaliers latéraux sont disposés sur chaque façade, latérale et arrière. Ils sont en partie hors oeuvre et éclairés sur toute leur hauteur par une verrière d'angle.
L'aménagement intérieur
Et voici le résultat du travail remarquable de rénovation opéré à l'intérieur de la piscine. L'objectif était de rester fidèle à la version de 1937 tout en respectant les contraintes liées aux normes de notre temps (hygiène, sécurité, accès aux personnes à mobilité réduite).
Cette réhabilitation soigneuse et spectaculaire redonne à l'édifice sa théâtralité originelle.
L'association d'un dallage blanc mi-hauteur bordé d'une ligne de démarcation bleue et du granito valide l'esprit hygiéniste moderniste de cette architecture des années 30.
Les mots d'ordre ici, simplicité, élégance et harmonie de l'ensemble.
La verrière (plafond et toiture vitrée à double pente) épouse la taille du bassin et retrouve sa fonction d'éclairage zénithal naturel.
Une vue des galeries qui desservent les cabines individuelles sur deux étages. Les portes en claire-voie qui masquent le matériel entreposé au niveau du bassin contribuent à maintenir l'élégance du lieu.
Le hall d'entrée
Un sol et un léger bandeau mural en "opus incertum" en grès cérame beige clair.
La loggia qui sépare l'entrée de la sortie et la caisse de forme arrondie, dotée de vitres permettant d'avoir une visibilité complète sur les entrées/sorties et sur le bassin.
Autour du bassin
Le tour du trottoir des baigneurs, avec espace de rangement du matériel d'un côté et loggias avec bancs en retrait de l'autre.
Les escaliers
Les escaliers d'accès aux douches et coursives.
Les coursives et les cabines
Les coursives qui desservent les cabines individuelles avec leurs garde corps en ferronnerie bleue sur des corniches de stuccos aux tons bleutés.
Les balcons situés aux étages à l'entrée faisaient offices autrefois de tribunes pour le public lors des représentations sportives.
Autres détails
Espaces douches, signalétique et accessoires
L'horloge, seul et unique "décor intérieur" de la piscine subsiste. Le plongeoir initialement situé à ses pieds a depuis longtemps disparu car il n'était plus aux normes.
Alice Milliat (1884 - 1957)
Voici le nouveau nom de la piscine "Leclerc" choisi après consultation et concertation avec les Pantinois. Un hommage unanime à l'une des grandes militantes du sport féminin international.
Sportive multicarte, nageuse, rameuse et hockeyeuse sur gazon, jeune mariée et très vite veuve, Alice Milliat privilégiera l'aviron qu'elle exercera au Fémina Sport, club du XIVème arrondissement de Paris. En 1915 elle devient présidente du club.
Débute alors son militantisme quant à la promotion, la reconnaissance et l'accès du sport féminin dans les événements internationaux et plus particulièrement aux Jeux Olympiques.
Face aux multiples refus du CIO, elle fonde en 1921 la Fédération sportive féminine internationale et commence à organiser des compétitions féminines internationales. Sous sa houlette, les premiers Jeux Mondiaux Féminins ont lieu à Paris en 1922.
Le succès grandissant lors des quatre jeux mondiaux qui se succèdent, contraint le Comité Internationale Olympique à autoriser l'accès aux femmes dans la catégorie reine des Jeux Olympiques modernes : l'athlétisme.
En "contrepartie" il décide de mettre les manifestations sportives féminines sous tutelle des organisations dirigées par les hommes et fait absorber la Fédération Sportive Féminine par la Fédération Internationale d'Athlétisme.
Quoiqu'il en soit, Alice Milliat aura gagné son légitime combat pour la reconnaissance du sport féminin. La ville de Pantin lui rend hommage en associant son nom à sa magnifique piscine rénovée.
La piscine de Pantin fut l'une des plus modernes de la région parisienne dans les années 30. Véritable témoin du dynamisme de l'architecture sociale dans le domaine des équipements publics, elle reste cependant méconnue encore de nos jours.
Le nouveau conservatoire Jacques Higelin construit conjointement avec la rénovation de la piscine forme désormais un ensemble unique. En effet les deux équipements communiquent entre eux et disposent d'un salon commun. Souhaitons leurs la réussite qu'ils méritent.
Remerciements
Je tenais à remercier Emeric Courteille, responsable de la piscine Alice Milliat et toute son équipe pour leur accueil et gentillesse lors de ma visite.
© Photos E.G. (sauf indications)
Merci de ce reportage photographique commenté.
Joueur de water-polo, j'ai débuté mes rencontres dans cet antre où dans le hall, trônés des distributeurs de friandises. Ces machines qui offraient pour des francs le droit d'ouvrir une cellule choisie pour s'emparer du gâteau ou bonbon souhaité.
J'y ai connu mes premières victoires sportives et aussi ma première défaite d'homme contre la machine ! Peut-être le monnayeur... depuis je m'abstiens de tenter ma chance.
Merci encore.
JjP